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Paris vu de Montmartre, par Henry Gréville

Henry Gréville 1842-1902 est une femme de lettre française, de son vrai nom Alice Marie Céleste Durand.

S'essayant au théâtre comme aux nouvelles, à la poésie comme au roman, elle a été à son époque 1842-1902, un écrivain à succès. Elle publia dans Le Figaro, La Revue des Deux Mondes et d'autres.

 

Cette extrait du roman Cité Ménard de Henry Gréville est en cohérence avec le tableau Paris vu du Sacré Coeur de Jules Adler car cet extrait décrit tous les éléments que l'on peut apercevoir dans le tableau. En effet on retrouve : une femme avec son écharpe, les fumées de cheminées, les grands monuments, une personne qui mange sur les escaliers et plusieurs personnes se promenant sur Montmartre.

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Le cœur plein de joie, Louise courut chercher son petit châle, et, cinq minutes après, ils étaient sur la butte, regardant Paris.


Un voile de vapeurs, encore très léger, s’élevait lentement dans Paris et dessinait des plans visibles dans la masse grise, aux contours flottants. Qui peut dire où finit la ville dans ce cirque immense que ferment à l’œil de tous côtés les collines vertes et boisées ? Sur les hauteurs de Châtillon, juste en face de la butte Montmartre, se découpait une rangée d’arbres bordant une route ; ils apparaissaient comme une dentelle noire sur le gris exquis de l’horizon. À droite, le Mont- Valérien, grossi par la brume, tout à fait imposant, formait une masse presque noire, et le ciel rouge, rayé de nuages foncés, représentait au- dessus la flamme et la fumée d’un Vésuve fantastique doux et lointain, comme les choses que l’on voit dans les rêves. Paris lui-même avait un aspect bizarre, presque immatériel. Çà et là quelques monuments énormes surgissaient au milieu du brouillard croissant et formaient des masses distinctes: Notre-Dame, Saint-Eustache, le Louvre ; plus loin, le Panthéon, Saint-Sulpice, et, plus à droite, le dôme des Invalides, qui retenait une paillette brillante sur une de ses faces dorées ; puis les masses sombres et comme endormies des Champs-Élysées et du bois de Boulogne, sortes d’oasis d’où la poussière ne montait pas, où l’œil se reposait sur la verdure aux tons éteints par les vapeurs flottantes. 

Tout cela adouci, atténué par une paix étrange, celle du jour mourant, à cette heure fugitive où l’obscurité, déjà assez forte pour noyer les détails, lutte encore assez avec le jour pour empêcher la lueur du gaz de monter dans le ciel bleu de lin. […]

Là, sur ce terre-plein, qui ne mesurait pas dix mètres de largeur, entre une escalade et l’autre, se réunissait tous les soirs la population laborieuse de Montmartre. On n’y voyait point ceux qui n’ont rien à faire ; pour ceux-là, toute heure du jour est bonne ; mais les mères chargées de famille, les ouvriers au retour de l’atelier, les ouvrières, après la rude journée du fer à repasser ou du travail d’aiguille, venaient détirer leurs membres engourdis et rêver d’air pur, dans un vaste horizon. À ce lieu même où plusieurs générations de travailleurs ont étendu leurs corps lassés sur l’herbe clémente, qui, ployée sous leur poids, se redressait à la fraîcheur de l’aube, là où tous les enfants des deux communes avaient établi leurs jeux et remplissaient leurs poumons d’air et de rire, une laide palissade renferme des travaux immenses, souterrains, inutiles, qui, s’ils produisent jamais quelque chose au grand jour, n’en auront pas moins eu pour résultat de priver tout un quartier de son lieu de promenade et de repos. 



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On veut y faire une église, de beaux escaliers, des jardins bien entretenus, le tout à l’usage des riches ; et les pauvres, quand ils veulent s’asseoir et se reposer à l’air, doivent désormais aller au nord, exposés à d’aigres bises en toute saison et, quand souffle le vent d’est, à d’odieuses émanations. Quels chants sacrés vaudront jamais les cris joyeux des enfants en liesse, quand ils escaladaient jadis la pente escarpée, jouant à la bataille et simulant l’assaut d’un fort ? Quel encens vaudra les soupirs de soulagement qui s’exhalaient de ces poitrines fatiguées ? Il y avait là, par les chaudes soirées d’été, un élan de reconnaissance vers le ciel bleu, vers les étoiles, que les cérémonies du culte ne remplaceront pas !


Si jamais une injustice fut commise, c’est le jour où les laides clôtures du Sacré-Cœur volèrent le soleil et l’air respirable à la population laborieuse de Montmartre !